Combien de merveilles dans le monde ?

Peut-on, à l’instar des « bibliothèques idéales », dresser un répertoire des destinations idéales, de ce qu’il faudrait connaître pour avoir une idée globale de la géographie et de l’histoire de notre planète, de ses beautés naturelles et monumentales, ou pour avoir fait, simplement, le tour synthétique de sa prison, si l’on veut suivre le précepte du Zénon de Marguerite Yourcenar

L’Antiquité connaissait Sept Merveilles du monde, c’était facile; d’autant plus qu’elles étaient toutes situées sur le pourtour de la Méditerranée orientale – le monde était petit. Six d’entre elles ont disparu, que nous ne connaissons guère que par les descriptions d’Hérodote ou de Pausanias; ne restent que les pyramides d’Égypte.

Dans l’Antiquité, donc, il fallait voir le mausolée d’Halicarnasse, ce tombeau du roi Mausole qu’avait fait édifier sa sœur et épouse Artémise II dans la ville qui s’appelle aujourd’hui Bodrum, en Turquie, et qui fut prise et rasée par Alexandre le Grand en 334 avant notre ère. Ou le colosse de Rhodes, gigantesque statue de bronze de Charès  représentant Hélios, le soleil, et érigée vers 280 avant notre ère en souvenir d’une victoire – avant d’être endommagée par un tremblement de terre en 224 av. J-C., puis définitivement détruite en 672.

Il fallait encore avoir vu le phare d’Alexandrie – une tour de marbre blanc de 180 mètres de hauteur au sommet de laquelle brûlait un feu -, que Ptolémée II avait fait construire par Sostrate de Cnide sur l’île de  Pharos, reliée à Alexandrie par un môle de 1 300 mètres de long. Et puis les jardins suspendus de Babylone, édifiés sous Nabuchodonosor II, à partir de 600 avant notre ère et souvent attribués à Sémiramis, la reine légendaire. Ou la statue d’or et d’ivoire de Zeus à Olympie, sculptée par Phidias vers 433 av. J.-C.. Et le temple d’Artémis à Éphèse, qui allait être incendié,en 356 avant notre ère, par un criminel dont le seul but était de passer avant tout à la postérité. Le pyromane, juste retour des choses, fut condamné au feu, et toute mention de son nom interdite sous peine de mort. Il devait pourtant être le premier à démontrer que le crime paie, puisque son nom, Érostrate, nous est resté.

Ce geste individuel mis à part, le temps, la guerre, la terre, qui avale les productions de l’homme en tremblant, s’étaient aisément chargés de la besogne. S’y ajoutent aujourd’hui mille autres fléaux modernes, contre lesquels il faut lutter. Mais pour préserver quoi ?

Une conférence générale de l’Unesco, en 1972, a décidé d’inventorier, pour sa sauvegarde, le patrimoine mondial – « les témoignages les plus significatifs des civilisations passées comme les paysages les plus émouvants de la nature », les productions qui dépassent la culture de ceux qui les ont conçues pour intéresser l’humanité toute entière. Cet inventaire comprenait, en 1990, 322 sites, dans les 111 pays signataires de la convention. Sont-ce là les 322 merveilles du monde d’aujourd’hui ?

Non, ne serait-ce que parce que la liste est en fonction des États signataires et que tous ne le sont pas encore. Comment donc faire en sorte qu’elle ne devienne pas interminable ? Le comité ad hoc de l’Unesco applique pour cela, avec rigueur, un certain nombre de critères : un bien culturel doit être authentique et avoir exercé une grande influence , ou apporter un témoignage unique, ou être associé à des idées ou croyances de signification universelle, ou encore constituer un exemple éminent d’habitat humain traditionnel représentatif d’une culture. Un bien naturel doit être exemplaire d’un stade de l’évolution terrestre ou de l’évolution biologique, ou contenir des habitats naturels d’espèces menacées, ou préserver une beauté exceptionnelle.

Pour donner un exemple de cette sélectivité, signalons que l’Italie, dont on pourrait penser que presque chaque église ou palais est un monument historique d’importance, ne compte que 7 sites inscrits sur la liste: les témoignages d’art rupestre du Val Camonica, Venise et sa lagune, l’église Santa Matia delle Grazie, à Milan, qui présente La Cène de Léonard de Vinci, le centre historique de Florence, la place du Dôme de Pise, le centre historique de Rome et la cité du Vatican. Avec cette liste du patrimoine mondial, on n’est donc finalement pas loin des merveilles du monde d’aujourd’hui.

A considérer les statistiques, on pourrait penser que les voyageurs français vont vers le soleil et/ou les principaux partenaires économiques de la France. A jeter aussi un coup d’œil à la liste du patrimoine on pourrait penser qu’ils vont voir les quatre merveilles d’Arabie Saoudite, les douze du Pérou, les seize de la Grèce… Bref, que, compte tenu de leurs onze destinations principales, c’est près d’une centaine, soit presque le tiers des biens du patrimoine mondial qu’ils sont sous les yeux. Et si l’on disait que les Français voyagent pour découvrir les merveilles du monde ?

Il est des sites qui ne sauraient être inscrits sur la liste du patrimoine. Des sites qu’on ne peut préserver, sauf à recourir à la réserve ou à la troupe folklorique, des sites qui pourtant ont duré des décennies ou des siècles. D’autres ont eu la fugacité d’un coucher de soleil ou d’une aurore boréale. La littérature en conserve la mémoire, tout comme les Merveilles du monde faites de pierre, d’or et d’ivoire, plus durables donc et pourtant bel et bien disparues, elles aussi, perdurent dans les textes d’Hérodote et de Pausanas.

Le patrimoine mondial est dans les souvenirs et dans les livres. Tout homme qui voit en prend les empreintes, en fait le relevé; tout homme qui raconte, qui écrit, en est le conservateur.

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