De l’Atlantique au canal de Suez

L’Atlantique déborde la Méditerranée

Les navires des pays protestants vont peu à peu dominer cette mer où l’islam et la chrétienté sont désarmés après avoir chacun aligné à Lépante, en 1571, 250 galères en un combat titanesque qui les a épuisés. Les navires protestants sont supérieurs en armement, équipages, capacité et régularité. Ils s’entendent avec Alger, avec les Turcs, trouvent des complicités à Livourne. Ils captent peu à peu les trafics importants. Ainsi les Hollandais chargent en Espagne, pour Livourne, les balles de laine que tissera Venise. Les Nordiques apportent du bois, des planches, des madriers, de l’étain, du plomb et, des matières premières.

Depuis le XVIe siècle, le gouvernail d’étambot est actionné par une roue. Vers 1620, le vaisseau de ligne à voile supplante la galère. Il faut toujours deux mois pour aller de Gibraltar à Istanbul, une à deux semaines, pour relier Marseille à Alger.

Un canal pour la route des Indes

Le 25 août 1704, au cours de la guerre de succession d’Espagne, l’Angleterre s’empare de Gibraltar par surprise. Elle est désormais le portier de la Méditerranée. Avec le sextant et le chronomètre, le problème du point à la mer est enfin résolu. A compter de 1757, l’Angleterre prend la première place aux Indes, et le Levant reste la route la plus courte vers celles-ci.

Avec le commerce du café, la mer Rouge s’est à nouveau animée, et Alexandrie redevient un port fréquenté comme aux temps des épices et du poivre. Les soies transitent jusqu’à Smyrne. La Méditerranée n’est plus qu’un point d’aboutissement, mais quelque chose comme le prolongement de la Tamise. L’expédition de Bonaparte en Égypte n’y peut rien. En 1800, l’Angleterre enlève Malte, le centre de ce qui fut la mer intérieure.

En février 1852, l’un des premiers records de vitesse de la marine à vapeur est l’établissement du trajet entre Marseille et Le Pirée en neuf jours. L’Angleterre s’installe à Chypre en 1878. Le canal de Suez, achevé en 1869, aura été, finalement, percé à son profit. En 1882, elle est en Égypte et tient la route des Indes de bout en bout.

La Méditerranée n’est plus que le petit bain de l’océan Indien, la ligne Marseille-Alger une voie secondaire et l’Indochine, une pâle  copie de l’empire des Indes, où les colons française de Saigon appellent leurs domestiques annamites « boys » et « boyesses », pour singer les Britanniques.

C’est durant la traversée du canal de Suez, au passage symbolique du 50e degré de longitude, que l’Européen devient le Blanc en s’habillant de même: costume blanc et casque colonial; qu’il prend conscience de sa condition supérieure en contemplant, de la passerelle, la misère de Djibouti.

Cinq mille ans ont coulé entre les berges du Nil, pour faire d’un fleuve qui ignorait la Méditerranée une Méditerranée qui n’est plus qu’un canal.

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